Même si les données sur les placements donnent à penser que les institutions (fonds communs de placement, fonds de couverture, régimes de retraite, etc.) ont considérablement réduit leurs risques en 2021 et en 2022, les titres détenus par les ménages américains demeurent près de leurs sommets historiques, selon la Réserve fédérale américaine. Si nous regardons le passé, les processus de creux sont un mécanisme de nettoyage pendant lequel tout le monde écope. Je ne suis pas certain toutefois que notre calvaire achève.
Déséquilibres trop marqués
Les cycles économiques ont tendance à prendre fin lorsque les déséquilibres deviennent trop importants et sont ensuite fortement corrigés. À la fin des années 1990, les excès ont été commis dans le secteur du matériel technologique. Nous avons construit trop d’ordinateurs personnels et de routeurs, installé trop de câbles à fibre optique et ainsi de suite, alimentant le boom Internet. Au début du siècle, ces débordements ont été douloureusement corrigés dans l’ensemble de l’économie en général, et dans les titres technologiques et Internet en particulier. Quelques années plus tard, une nouvelle bulle a fait son apparition, à savoir l’octroi d’un crédit trop important aux consommateurs américains, notamment aux emprunteurs hypothécaires, ce qui a entraîné d’immenses déséquilibres dans les secteurs de l’immobilier résidentiel et des services bancaires, dont la correction a déclenché la crise financière mondiale.
L’histoire nous montre que les déséquilibres de l’économie et des marchés sont récurrents. Mais parfois, ils ne sont pas facilement repérés par les observateurs profanes, car ils ne s’axent pas sur un secteur en particulier, comme la technologie ou l’habitation.
Depuis la fin de la crise financière mondiale jusqu’à l’éclatement de la pandémie au début de 2020, trop de crédit (public et privé) a été accordé à des sociétés non bancaires. Toutefois, ce capital n’a pas servi à accroître la production de biens ou de services, comme en témoigne la croissance anémique des années 2010, la décennie la plus faible en 150 ans. Plutôt que d’utiliser le capital pour améliorer la croissance interne des revenus et des bénéfices, les entreprises ont financé des distributions de dividendes plus élevées, des rachats d’actions et des acquisitions dans le but de générer une croissance externe dans tous les secteurs, à l’exclusion des services financiers. Cela explique pourquoi les années 2010 ont produit des bénéfices démesurés, mais donné lieu à une faible expansion économique et à un écart de richesse historique entre les propriétaires de capital et les travailleurs. Quels étaient les débordements du dernier cycle économique? L’endettement et les profits des entreprises.
En février 2020, la disponibilité du crédit s’est évaporée. Les sociétés étaient sous-capitalisées. Un rééquilibrage de l’économie et des marchés s’est amorcé, mais a ensuite été court-circuité par les décideurs. En conséquence, de nouvelles obligations de sociétés ont été émises et les bénéfices ont recommencé à augmenter à un rythme record.
Sommes-nous en train d’atteindre un creux?
D’ici à ce que les déséquilibres (comme susmentionnés, les leviers financiers trop importants, le sous-investissement dans la production et la surchauffe des bénéfices) soient corrigés, je doute qu’une reprise durable puisse se concrétiser. Je ne suis pas économiste, mais il n’en faut pas un pour savoir que les mesures de relance pandémiques n’ont pas servi à reconstituer le stock de capital épuisé ni à investir dans des actifs productifs, ce qui aurait ouvert la voie à une croissance économique durable. Au lieu d’investir dans des usines et de l’équipement, ou dans la recherche et le développement, le gouvernement a émis des quantités inimaginables de titres de créance afin que les consommateurs puissent acheter plus de biens que ce que l’économie pouvait produire. Le résultat? Une inflation de 9 %*.
À mon avis, à mesure que la croissance s’essoufflera, les revenus des sociétés s’estomperont aussi. Les sociétés ont des coûts fixes qui doivent être couverts par des revenus, et ces coûts sont maintenant structurellement plus élevés qu’auparavant en raison de la hausse des coûts de la main-d’œuvre et des intérêts sur la dette ainsi que de la conformité aux principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cette situation entraînera, selon nous, une baisse des marges bénéficiaires et un rajustement des prix des actifs qui cadreront avec cette réalité trop longtemps attendue.
Quand le saurons-nous?
Dans le passé, les marchés ont eu tendance à toucher le fond lorsque les investisseurs ont abandonné (soit cesser de se préoccuper de la situation, se promettre de ne plus jamais investir et ne plus se demander si le creux a été atteint. J’ai vécu une telle période à deux reprises et je ne crois pas qu’il s’agit du cas actuellement. Lorsque les investisseurs cesseront de demander si le creux a été atteint, ce sera signe que oui.
*Bureau of Labor Statistics des États-Unis, juin 2022.